Parano - Secteur MIB
Trigger Warning et X-Card
Ou comment faire des trucs glauques d'une façon saine
C’est la base, et la plupart d’entre nous sommes à peu près d’accord avec ça; nous y sommes habitués. Mais d’une part, ce n’est pas le cas de tout le monde, et d’autre part, dès qu’on s’éloigne du basique "aller massacrer du gobelin/du xeno sans visage dans le royaume du coin", on peut tomber sur des cas de figure... plus complexes.
C’est là que les notions de Trigger Warning et de sécurité en jeu peuvent s’avérer utiles.
Par essence, les JDR ont un aspect violent. De manière classique, les personnages que nous contrôlons se livrent à des actes peu communs. Ils se battent, tuent, blessent, ont des ennemis. Et ils se retrouvent blessés, voient leurs amis être malmenés, ou mourir.
Trigger Warnin - Avertissement de contenu - Avertissement au public
C’est à l’origine un système destiné aux victimes de traumatismes et de stress post-traumatique
Le Trigger Warning sert à les prévenir que des thèmes pouvant déclencher ce stress post-traumatique, ou réveiller des souvenirs traumatiques, vont être abordés.
En jeu et dans la culture, il est généralement employé de deux manières. L’auteur peut prévenir au début d’un texte, d’une nouvelle, d’un jeu que l’œuvre va contenir tels et tels Trigger Warnings. Ou bien, dans le cas qui nous intéresse, la personne qui joue peut prévenir MJ et autres joueurs qu’elle est sensible à des Trigger Warnings en particulier.
La Ligne, le Voile et la X-Card
La **Ligne** est ce qu’un joueur ne souhaite pas dépasser : la torture, par exemple. Le joueur préfère ne pas que cet élément soit présent en jeu. Pas de torture sur un PJ, un PNJ, pas de scène de torture, pas d’utilisation de la torture pendant la partie.
Le **Voile** est l’équivalent du fondu au noir, dans un film. Le joueur est d’accord pour qu’il y aie une utilisation de la torture dans l’intrigue, mais ne veut pas la jouer ou ne pas la voir jouer. La scène s’interrompt quand l’interrogateur arrive, et reprend quand le personnage est en train d’être soigné, par exemple, avec un récapitulatif des informations qui ont pu être obtenues ou cachées.
La **X-Card** est un concept plutôt simple: « **Stop.** Ça va trop loin. Je ne veux pas ça. Et je n’ai pas la volonté ou la possibilité de me justifier. **Je veux juste m’en aller.** »
C’est un jeu. Vous avez le droit de dire non. Vous avez le droit d’arrêter. Vous avez le droit de partir. Sans vous répandre en explication, sans vous contorsionner pour essayer de ne vexer personne. Sans devoir marcher sur votre propre ressenti pour encaisser et continuer la partie. C’est ça, la X-Card, une porte de sortie pour vous, un moyen de vous extraire d’une situation qui vous pose problème et que vous n’avez pas vu venir.
Cette terminologie n’est pas fixe, c’est plutôt une façon d’expliquer un concept assez logique en JDR. C’est un principe relativement proche du Trigger Warning, et qui peut également être mis en place à l’avance.
Le conflit n'est jamais loin
L’utilisation de ce système est devenu plus courante par la suite, pour des débats, des articles, et à force, dans certains pans du milieu rôliste. Et elle a été en partie modifiée. (Précisons que les Trigger Xarnings et autres X-Cards sont connotés comme quelque chose de plutôt gauchiste/woke/social justice warrior/fragiles/snowflakes. Ça tombe bien, on est nombreux dans ce camp sur le secteur. Sorry not sorry.)
C’est un truc sujet à beaucoup de débats brûlants, qui se résument souvent à liberté d’expression et liberté artistique contre santé mentale, et à censure versus précaution. En psychologie et en psychiatrie, il me semble que l’utilité des Trigger Warnings est toujours débattue et n’a pas été tranchée.
Les Trigger peuvent mener les personnes traumatisées à éviter tout ce qui peut les confronter à leur trauma, ce qui n’est pas forcément une bonne chose d’un point de vue psychologique; d’un autre coté, la confrontation forcée à ces traumas est tout aussi mauvaise. Puisque nous ne sommes dans le domaine psychologique, juste dans les loisirs, ce n’est pas un problème, et les Trigger servent justement à éviter la confrontation forcée ou imprévue.
Le JDR n’a pas pour vocation d’être une thérapie, et ne doit pas être utilisé dans ce sens, mis à part par des professionnels de la santé mentale. Les outils de sécurité en jeu ne sont pas seulement faits pour permettre d’éviter des sujets problématiques, ils peuvent aussi servir à s’y confronter de façon préparée et safe. C’est une question de donner le choix aux gens. En dehors de ces considérations, c’est un simple outil qui peut s’avérer utile.
D’autres arguments souvent donnés contre les outils de sécurité en jeu sont l’**utilisation abusive** (par exemple, si une personne en jeu ne veut pas se retrouver en situation de difficulté ou "perdre"), les risques de **triche**, le fait de brider le coté naturel, l’improvisation, la liberté, de brimer MJ et joueurs…
A ça, j’aurais une réponse très simple. Allez donc discuter de ça avec un pratiquant de BDSM ou de GN, elle/il vous expliquera gentiment les dangers de jouer sans sécurité et vous fera un cours long et ennuyeux sur l’utilité des safewords. Ce n’est pas parce que le jeu n’est ici pas physique que les dégâts ne peuvent pas être réels. Et si vous jouez avec une personne qui utilise la sécurité en jeu pour tricher ou partir, et bien… il vaut mieux qu’elle parte, effectivement. Avec ou sans Trigger Warning, cette personne s’avérerait problématique.
**La différence entre un film et un jeu se trouve dans l’immersion.**
Il y a quelque chose qu’il ne faut pas oublier, avec le jeu (le jeu de rôle en particulier) : on peut sortir d’une salle de cinéma, couper un film, reposer un livre. Aussi prenante que soit une œuvre dont le destinataire est "passif", la personne qui lit, qui regarde, reste, et bien... passive, justement. Alors qu’en jeu, la notion d’immersion crée un ressenti bien différent. Quiconque a déjà joué à un jeu d’horreur un peu trop prenant le sait très bien. (Coucou, les gens qui se cachent dans un placard quand ils jouent à Alien Isolation)
Mais, même sur un jeu vidéo, il reste l’option de couper la console ou le PC, et d’aller voir ailleurs, si quelque chose ne va pas. Sur un jeu solo, du moins. En revanche, en JDR, en RP ou en GN, l’effet immersif est doublé d’un effet social : reculer ou s’en aller est compliqué, et signifie laisser tomber les compagnons de jeu, qui sont aussi souvent des amis. Ce qui peut imposer une certaine pression, une incitation à rester dans le rang et à aller dans le sens du courant. C’est pour ça que les outils de sécurité en jeu sont utiles.
En résumé?
Le Trigger Warning est préventif, à utiliser à l’avance.
La Ligne et le Voile sont préventifs, mais peuvent être plus facilement utilisés en cours de partie.
La X-Card est à utiliser sur le moment, et peut être modulée : elle peut être un gros NON pur et simple destiné à faire quitter le jeu, un "ok, mais pas plus loin que le stade où nous sommes" ou un "calme un peu le jeu s’il te plaît".
Thèmes et sujets à Trigger Warning
- Les Phobies :
Arachnophobie, peur des serpents, des aiguilles, du feu, des germes...
- L’Horreur :
Physique, psychologique...
On y retrouve généralement davantage le gore et le body-horror que le surnaturel.
En horreur physique, on va trouver tout ce qui relève du corps : actes médicaux explicites, aiguilles et seringues, sang, mutilations physiques, mutations, torture...
Le thème de la santé mentale n’est pas non plus à négliger. Que ce soit du jeu tournant autour d’un internement psychiatrique (le jeu Patient 13 par exemple), ou la présence d’automutilation, de troubles de comportement alimentaire, de troubles mentaux...
- Ce qui amène à un autre Trigger majeur : le thème du suicide et des tentatives de suicide.
- Les Abus et violences :
Abus et violences physiques, morales, psychologiques, à l’échelle individuelle ou domestique, dans un couple, dans une famille, harcèlement scolaire, au travail...
- La Violence Sociale :
Racisme, xénophobie, violences de classe, discriminations, homophobie, transphobie... Mais aussi tout ce qui peut se trouver dans les jeux dystopiques, par exemple.
- Les Violences Sexistes et Sexuelles :
Viols, agressions sexuelles, comportements sexistes individuels ou à l’échelle d’un groupe. C’est un gros morceau, souvent parmi les plus représentés dans les trigger warnings, et présent dans pas mal d’œuvres, entre autre en historique, en dark fantasy, en post-apocalyptique.
- La Violence envers les Enfants est une catégorie qui peut se confondre avec les autres, mais qui possède souvent une charge particulière pour les joueurs. On y retrouve les actes pédophiles, mais pas seulement. La mort d’un enfant reste parmi les choses les plus taboues qui soient, autant dans la culture que dans l’actualité.
- Ce n’est pas forcément un Trigger en soi, mais tout simplement, les **scènes de sexe** sont souvent un problème en jeu. La question ne se pose pas chez nous puisque le secteur n’est pas en +18 et que les règles traditionnelles se résument à : pas de RP cul en propa noms de dieux !
Mais en Jeu de Rôle, ça peut aussi très vite être un problème si quelqu’un décide de jouer une scène de sexe en public, surtout de manière explicite. J’ai généralement tendance à considérer que ça ne se fait juste pas, mis à part accord préalable entre tout les membres de la partie. Ça peut devenir au mieux franchement gênant, au pire une grosse source de malaise.
Certaines personnes se sont retrouvées à voir, ou même à devoir jouer des scènes de viol dans une partie sur table. C’est… nan, ne faites pas ça, s’il vous plaît. C’est vraiment glauque.
En GN, c’est un peu plus « traditionnel » à cause de la notion de vie de camp. Les moyens pour gérer ce genre de scènes sont nombreux : jouer à pile ou face, boire un verre ensemble, donner un bonbon, ou… faire un massage. Et cette dernière option commence déjà vite à devenir un peu trop borderline à mon goût.
Et enfin :
- La Cruauté envers les Animaux. (Parce que personne ne veut qu’il arrive quelque chose au chien dans le film. Et puis, personne ne veut voir débarquer Baba Yaga.)
Quelques notes supplémentaires
- A l’écrit, personne ne peut savoir si vous êtes ironique ou juste méchant. (Hein, Reo)
Le RP et le jeu textuel en général manquent d’une composante essentielle qui est présente en JDR ou en GN : la communication non-verbale ! Nous ne sommes pas tous doués pour la décoder, mais il est plus facile de se rendre compte d’un malaise ou d’un problème quand on voit le visage, l’attitude de la personne en face et qu’on peut entendre sa voix.
(Petit indice, en RP textuel :
Des répliques de plus en plus courtes, brouillonnes et peu rédigées, un temps de latence de plus en plus long entre deux répliques, une incapacité à la prise de décision ou au mouvement peuvent indiquer un malaise chez le joueur.
Ce n’est pas systématique, en général c’est explicable par la fatigue, le fait que la personne soit en train de se faire à manger ou de répondre au téléphone, mais mieux vaut être attentif.
... Ceci dit, ça peut aussi être explicable par de l’ennui, mais ça, ce sera pour un prochain article.)
- La communication, c’est important !
Il vaut mieux y en avoir trop que pas assez. En cas de doute, n’hésitez jamais à aller voir la personne en MP pour lui demander si tout va bien, si elle veut continuer, etc.
Et en cas de scènes ou de dialogues violents, il n’est jamais mauvais de rappeler que c’est du roleplay, et que ce n’est pas parce que nos personnages s’insultent non-stop ou essayent systématiquement de s’entre-tuer que nous, joueurs, avons un problème l’un avec l’autre. (Hein, NightBird.)
- N’oubliez pas qu’un problème peut arriver en cours de partie. Même si vous n’avez pas identifié de souci spécifique au début du jeu, ça peut arriver ensuite. Et c’est normal.
- L’option : "C’est très dur et ça cogne moralement, mais on peut continuer parce que je m’amuse et que pour l’instant ça va." existe. (N’est-ce pas, Ruslan.)
En conclusion
Le Secteur MIB préconise le fair play, et le safe play. Notre jeu est souvent violent, voire carrément hardcore. Communiquez si vous vivez un malaise en RP. Vous n'aurez pas à vous justifier, et nous ne chercherons pas à vous cuisiner pour vous faire parler de quelque chose que vous n'avez pas envie de partager. Nous voulons que tout le monde ait du plaisir.
Tout le monde.