Parano - Secteur MIB
Aventure dans la dimension de poche
PARTIE 1
« Heu, dites, agent d’élite, je… peux vous parler une minute ? »
Amadys haussa du sourcil. Les aspirants se tenaient à une distance respectueuse, d’habitude, sachant très bien qu’il ne fallait pas le déranger pendant ses pauses à la mac. Sans doute à cause des rumeurs qui couraient depuis un bon moment, sur le fait de se faire embarquer sans prévenir dans une pseudo-expérience psychologique foireuse, qui impliquait des tests de Rorschach en forme de cul, un peu de câlinothérapie et beaucoup, beaucoup trop d’improvisation que pour ne pas avoir envie de fuir tout de suite.
Le chevalier esquissa un sourire, en posant les yeux sur l’aspirant dégingandé, aux cheveux en bataille et à la lueur un peu folle qui brillait dans ses yeux noisette.
« Bien sûr… VRS. A propos de votre petit souci avec les nordoms, je présume ? »
L’aspirant déglutit bruyamment, l’air un peu penaud. La lueur dans son regard s’éteignit l’espace d’un bref instant, avant de se rallumer, plus brillante que jamais.
« Précisément. J’ai ptêtre un truc qui pourrait vous… nous aider. »
« D’accord… maintenant, allez voir plus loin pendant la prochaine demi-heure… c’est ma pause, vu ? »
VRS devait lever les yeux fort haut pour rencontrer le regard gris, perçant, de l’agent d’élite. Pas que le chevalier l’effrayait particulièrement, contrairement à la moyenne des aspirants impressionnables du coin. Cette relique vivante d’un temps passé avait un petit côté amusant.
VRS portait une caisse qui semblait trop lourde pour lui, vacillant tous les trois pas, jusqu’à ce que le grand machin aux cheveux longs lui prenne sa charge des mains avec une facilité écœurante.
« Faites attention, hein ! C’est fragile, ce truc-là. »
« Et absolument indispensable, visiblement… VRS, est-ce que vous pourriez… »
« Pas maintenant, pas maintenant ! J’ai un tas de réglages à faire, avant de pouvoir vous montrer ! »
Amadys se contenta de hocher la tête. Vraiment… il était beaucoup trop gentil avec cette bande de bras cassés. Il les adorait, à dire vrai, et il se demandait si certains n’étaient pas au courant et en profitaient.
Assis à son bureau, il fixait l’aspirant qui n’avait même pas pris la peine de s’asseoir, et lui décrivait avec un enthousiasme débordant (et un bon gros tas de termes incompréhensibles) un curieux dispositif qui, il en était persuadé, allait révolutionner la manière dont le psy faisait son travail.
Il songea brièvement à l’attacher, l’agitation fébrile qui parcourait le corps de l’aspirant dégingandé lui faisait peine à voir. Mais, hum, non. Il leva plutôt une main, l’arrêtant au beau milieu d’une phrase.
« Donc, c’est un appareil qui permettrait d’aller faire une ptite balade dans l’inconscient des gens ? VRS, il faut mettre ce truc sous clé, la balancer dans les égouts et ne plus jamais en parler. »
VRS fit une moue dédaigneuse.
« Rien de mieux qu’une démonstration, vous allez voir ! »
Il tripota deux boutons et demie. Amadys n’eut pas le temps de lui plonger dessus pour lui arracher son engin de mort des mains, qu’ils disparurent dans un étrange fracas qui ne fut entendu que d’eux seuls.
« VRS, je vais vous tuer. »
Comment décrire l’endroit où ils avaient atterri ? C’était… blanc. Trop blanc. Et pas très grand, se rendit compte Amadys en commençant à explorer, après avoir collé une paire de baffes à un VRS tout penaud qui se retrancha derrière sa machine façon mère poule.
Un foutu mauvais film de SF, c’était ça. Il allait se réveiller, hein, hein ?
« VRS, votre inconscient est passé à la machine à laver par accident ? »
« Pourquoi vous dites ça ? »
« Je suis intimement persuadé que c’est carrément censé ressembler à une jungle truffée de Predators, votre truc, et que je n’ai pas eu le temps d’aller chercher un criquet infernal, encore moins de prendre la moitié de l’armurerie avec moi… »
VRS le regarda, incrédule. Le psy était dingue, les autres avaient raison.
Amadys poussa un soupir.
« Ramenez-nous. MAINTENANT ! »
La machine émit un bruit de mécanique à l’agonie.
« Oh oh… »
« Comment ça, oh oh ? »
« Ben, comme ça. Le transmetteur a du se gripper, attendez… »
Objectivement, ce fut à peu à ce moment-là qu’un petit truc fit « crac » à l’intérieur d’Amadys. Quiconque le connaissait un peu sans trop creuser non plus, savait qu’il se fichait à peu près de tout, et ne prenait pas grand-chose au sérieux. Sauf peut-être le bien-être de tout le monde et des aspirants en particulier.
Là… un tir d’Etoile Noire bien ajusté aurait probablement fait moins de dégâts.
VRS se ratatina littéralement sur place, sous les hurlements. Esquiva de justesse un poing qui filait vers son nez, et essaya de s’échapper, avant de se rendre compte que le chevalier tout énervé pouvait peut-être, éventuellement, avoir la bonne idée de bousiller sa machine à coups de pieds rageurs. Du coup, il ne bougea pas et encaissa la salve suivante.
« D’accord, d’accord ! Vous en faites pas, je vais réparer ça, tout de suite, promis ! »
Un Amadys incrédule le regarda sortir un nombre impressionnant de bidules et de machins de ses poches, et se mettre à la tâche avec enthousiasme.
A peu près quatre heures plus tard, il fallait se rendre à l’évidence. Cette machine infernale ne marchait pas.
VRS s’approcha doucement du chevalier qui s’était installé dans un coin, même pas confortable, pour y faire une sieste.
« Heu, dites… y a comme un problème. »
La lueur dans les yeux noisette s’était éteinte. L’aspirant avait l’air tellement pitoyable qu’Amadys retint une réflexion acerbe, et lui fit plutôt signe de poser ses fesses à côté de lui.
« VRS, on aurait pu se contenter d’une séance classique. J’aurais laissé les tests en forme de cul dans mon tiroir, je sais que vous avez horreur de ça. »
« Désolé. Je vais finir par y arriver, mais… »
« Ouais. Bon, puisqu’on a du temps à tuer, vous voulez parler ? C’était quoi, déjà, au sujet des nordoms ? »
VRS frissonna, une expression d’horreur absolue sur le visage.
« Ils me terrifient. » avoua-t-il dans un souffle.
« Je sais. Ce n’était pas une expérience très agréable, d’en avoir un dans la tête. »
« J’voulais vous demander… vous… qu’est-ce que… »
« Ce que ça fait ? Tu ne veux pas savoir, crois-moi. »
Amadys était passé au tutoiement, sans s’en apercevoir. Il tourna la tête, esquissa un sourire.
« Tu es là depuis quoi, deux ans à l’agence, à peu près ? Tu n’as pas fini d’en voir, petit. J’te concède qu’on aurait du être plus prudents avec ces saloperies. Mais… y a plus rien à craindre. Vraiment. »
« Vous en êtes sûr ? »
« Certain. »
VRS hocha doucement la tête. Il n’en était pas convaincu, pas convaincu du tout. Mais il ne dit rien du tout. L’agent d’élite avait l’air las, et… il ne tenait pas à se faire engueuler une seconde fois. D’autant plus qu’il se sentait un peu humide, du côté du fond de son pantalon.
Il se releva, s’approcha de sa machine, et se remit à bricoler avec ferveur.
PARTIE 2
Au début, c’était pas si mal, au fond. Les siestes d’Amadys étaient rythmées par les bruits que faisait VRS, entrecoupés de quelques jurons plus ou moins fleuris, et les divers essais de la machine infernale, qui semblait de plus en plus encline à se gripper définitivement.
Avec une plainte déchirante, elle sembla rendre l’âme à peu près deux cycles plus tard, et VRS avait les larmes aux yeux quand il se tourna vers le chevalier.
« On va rester bloqués ici. On est foutus. »
Amadys ne commenta pas. Seule la pensée qu’il était infoutu de réparer ce truc tout seul le retint de commettre un meurtre de sang-froid. Ce gamin était sa meilleure chance, à condition qu’il n’y perde pas ses nerfs en route.
« Repos, VRS. Tout de suite. »
Il endura une bonne demi-heure de sanglots étouffés avant d’assommer proprement l’aspirant, et décida qu’il était, à cet instant, parfaitement satisfait.
Les heures devinrent des jours. VRS ne progressait pas d’un iota, et menaçait de se déshydrater mortellement un peu plus chaque jour. Amadys, lui, projetait de plus en plus souvent de le bouffer après l’avoir éventré, sous sa forme de crinos.
Une ombre s’étendait à l’est de la dimension de poche, comme VRS l’appelait désormais. Amadys la sentit plutôt qu’il ne la vit. Une ombre, une sorte de malaise qui prit racine au fond de ses tripes et qui ne devait plus le quitter.
« Oh non, non, non… »
« Quoi, VRS, QUOI ?! »
« Ils… ils sont là ! »
VRS se planqua, tremblant, derrière le chevalier, disparaissant tout entier. Et là, il le vit. Seul, flottant à cinquante centimètres du sol, ses tentacules éthérés déployées. Une forme grise, sans visage, sans… Rien que ces tentacules qui semblaient se tendre pour les attraper tous les deux.
Un nordom.
Un nordom, ici ? Impossible !
Amadys attrapa l’autre par les épaules, lui retourna une paire de baffes. VRS glapit, essaya à nouveau de faire du chevalier son rempart contre les bestioles abhorrées.
Il était toujours là.
« Oh, bordel… »
Amadys sut à ce moment-là qu’il pouvait dire adieu à ses siestes. VRS, lui, commençait à se sentir vraiment, vraiment humide du côté de son fond de pantalon.
A peu près trois cycles plus tard, Amadys commençait à vraiment avoir du mal à ne pas fermer les yeux. Il avait bien essayé d’établir des tours de garde, mais… impossible. VRS mettait environ une dizaine de minutes à se rendre compte qu’il était le seul éveillé, et secouait le chevalier, terrifié à l’idée que les bestioles s’approchent pendant qu’il essayait, de plus en plus désespérément, de réparer cette foutue machine. Il n’était parvenu qu’à ouvrir une porte vers une dimension qui se trouvait remplie de bidules répugnants, et une autre vers le monde des jambons, ce qui avait permis à Amadys de se faire un sandwich. Il lui avait demandé de chercher ensuite le monde de la bière, et plus vite que ça. Il cherchait toujours.
Soit dit en passant, la thérapie par les baffes, ni les menaces de se faire pendre par les ouïes pour être dévoré tout cru ensuite, ne fonctionnaient guère. Amadys trouvait ça dommage, d’autant plus qu’il était trop fatigué pour penser à protéger le gamin et à de nouvelles méthodes originales et rigolotes en même temps.
Quant aux bestioles… elles semblaient se multiplier, une de plus par jour, et si elles se contentaient de flotter, jusque-là… VRS savait qu’elles allaient attaquer, c’était sûr.
Rentrer par un de ses orifices, il ne voulait pas songer quel serait l’élu, et… et… oh, bon sang. Non, nononononononon…
L’agent d’élite le détestait à mort, c’était sûr. Bon, évidemment, le fait qu’il puisse dormir à peu près deux heures par jour par tranches de dix, quinze minutes quand VRS se sentait en veine de courage, ne devait pas aider beaucoup. Il s’en voulait de ne pas être plus courageux, mais… il n’y arrivait pas, quoi qu’Amadys puisse dire.
VRS cherchait d’ailleurs en secret la dimension des pantalons secs. Ça devenait urgent.
Amadys avait deux théories. Si la machine infernale avait bien fonctionné, et qu’on se trouvait en effet dans la tête de ce foutu VRS, le fait qu’elle se remplisse de nordoms était à peu près logique. Et il devait peut-être s’employer à lui faire comprendre qu’il avait tout intérêt à leur péter la gueule. Une sombre histoire de métaphores.
Soit, c’était un fort beau ratage, les bidules étaient réels, peut-être dans une sorte de cocon d’hibernation, et ils étaient dans la merde la plus noire. Si les bidules se réveillaient.
Il mourait littéralement d’envie de céder au sommeil. A cause de VRS, et de la perspective fort peu réjouissante de ramener une fois de plus une saloperie à l’agence, ça s’avérait sacrément plus compliqué que prévu.
Il n’y tenait pas particulièrement. Oh, non. Une opération avait suffi. Et la patronne allait les étriper, quand ils rentreraient.
Du coup, il arborait les plus beaux cernes de sa carrière, et il se demandait s’ils allaient survivre à tout ça. Il avait faim, il avait soif, il se languissait de son petit confort à l’agence, et il aspirait à plus agréable compagnie que cet aspirant chouineur, qui commençait à sentir un peu fort du fond de pantalon.
Bref, on pouvait dire que le moral était au beau fixe. Amadys avait perdu le compte des jours. Et c’était tant mieux.
VRS finissait par tomber d’épuisement, tous les deux cycles à peu près, et Amadys se contentait de veiller sur lui, oscillant dangereusement entre envie d’en faire un autre sandwich au jambon, et un brin de pitié mêlé de la tendresse générique qu’il éprouvait pour les aspirants.
Pauvre gosse, au fond. Il allait lui faire passer l’envie de bricoler des machines infernales et lui coller des coups de pieds au cul jusqu’à ce qu’il atterrisse sur la lune.
Les jours étaient devenus des semaines. Deux autres incursions dans les dimensions des saucissons et d’une sorte de jus de fruits fluo assura leur subsistance. Les nordoms étaient de plus en plus nombreux, Amadys avait renoncé à les compter. A ce rythme-là, il faudrait bientôt déménager dans une dimension de poche un peu plus grande. Et équipée d’une salle de bains.
« Heu, chef ? j’crois que j’ai compris, cette fois. »
« T’as intérêt à ce que ce soit la bonne, gamin. Ou cette fois, je te donne à bouffer aux nordoms. »
VRS rajouta un peu plus d’humidité pantalonesque à l’atmosphère, serra les dents (et les fesses) et enclencha la plus longue séance de tripotages de commandes qu’Amadys lui avait jamais vu faire.
Le bidule fit un bruit de TARDIS (« chouette, hein ? J’ai bricolé ça hier… oui, oui, tapez pas ! ») et… il y eut un grand éclair lumineux.
Amadys battit des paupières, comme un hibou ébloui par le soleil. Oh, mais oui… son bureau. Pour un peu il aurait bien embrassé le sol, et aussi le Pouic qui le regardait depuis sa piscine de bière avec des yeux ronds.
« Et maintenant, VRS, tu dégages de mon putain de bureau. TOUT DE SUITE ! »
VRS fit un bond, serrant contre lui sa machine. Amadys la lui arracha des mains, et le flanqua à la porte avec le coup de pied au cul d’usage.
Une vingtaine de minutes plus tard, quand il sortit pour aller prendre une douche, il le trouva roulé en boule, à trois mètres de la porte de son bureau, ronflant.
Plus jamais, jamais, jamais il ne ferait confiance à un aspirant armé d’une machine infernale. Jamais, jamais, jamais.
Il soupira, reprit sa marche dans les couloirs. Changea d’avis, et se dirigea vers la mac.
Avec un peu de chance, y aurait personne. Personne pour écouter son histoire, parce que, honnêtement, qui allait croire un truc pareil ?